DBF est une association de Français dans la Silicon Valley crée en 1994 dont j’ai le privilège d’être le co-fondateur. Elle permet aux Français de la Silicon Valley de se rencontrer et de networker. Tous les premiers lundis de chaque mois, elle réunis donc une cinquantaine de français vivant sur place ou de passage et reçoit un hôte, un français qui est interviewe sur son itinéraire, sa vie, ses réflexions.
La semaine dernière, DBF recevait David Gurlé, aujourd’hui Vice Président & General Manager de l’Enterprise Division de Skype. J’avais eu l’occasion de rencontrer David Gurlé à plusieurs occasions aux Etats Unis lors de conférences sur la voix sur IP alors qu’il était chez Microsoft, sa vision de l’évolution de la voix sur IP m’avait déjà marqué. Il revient aujourd’hui chez Microsoft qui vient de racheter Skype. Au cours de cette longue vidéo de 1h15, il raconte son itinéraire.
Les 11 premières minutes de la vidéo sont consacrées à sa jeunesse et la conversation donne une bonne impression de ce que peut être la jeunesse d’un futur ingénieur Français qui passe une grande partie de son temps à l’étranger mais qui vient faire ses études en France.
David Gurlé débute sa carrière chez Digital Equipment (DEC) en France, un constructeurs de mini-ordinateurs qui n’a pas compris l’arrivée des PC et a fini par se faire racheter par Compaq, lui même racheté par HP qui était un des concurrents de DEC à l’époque, mais beaucoup plus petit que lui. Digital Equipment avait à cette époque installé à Sofia Antipolis son seul groupe de développement logiciel à l’extérieur des Etats Unis dont l’objectif était de travailler sur les mini-ordinateurs dans les télécommunications. Il a commencé à travailler sur SS7, un ensemble de protocoles définis par l’ITU qui permet la mise en œuvre des commutateurs téléphoniques, des SMS et d’autres services de télécommunication.
Après quelques temps, il entre eu CNET, alors laboratoire de recherche de France Télécom à Sofia Antipolis. Cette région était à l’époque un haut lieu de la R&D en télécommunications puisque IBM, Texas Instrument et beaucoup d’autres grands constructeurs y avaient leurs laboratoires de recherche… Il nous donne une petite vision de la vie dans les Labs de Franbce Télécom à l’époque… ! C’était il y a longtemps.
Ensuite, il entre à l’ETSI, organisme Européen de normalisation dans le secteur des télécommunications et il travaille sur la phase 2 des normes du GSM. Il spécifie les interfaces d’interconnexion des réseaux SMS, découvre aussi la voix sur IP en 1995 sur les réseaux RNIS.. (à 128 Kb par seconde maximum), et travaille sur la normalisation du Broadband voix sur IP sur ATM. Mais ATM allait au mur, bien que fortement poussé par France Télécom. Il contribue à l’ETSI à l’arrêt des travaux sur la normalisation d’ATM. La voix sur IP est en pleine naissance mais beaucoup de gens à ce moment là pensent que ca ne marchera jamais. Il écrit cependant certaines spécifications de normalisation de la voix sur IP… et finalement il écrit un livre sur l’IP Téléphonie qui devient un best seller dans le milieu des télécommunications.
Il passe ensuit chez Vocaltech et s’installe en Israel pendant 2 ans où il s’occupe des alliances de la compagnie et développe des compétences non technologiques. Il devient aussi très connu dans le monde de la voix sur IP grace à ses travaux sur la normalisation.
Alors qu’il s’apprête à faire la Wharton Business School aux Etats Unis en 1999, il est chassé par Microsoft et après une semaine d’interview à Redmond, passés avec succès, il reçoit plusieurs offre parmi lesquelles il ne sait pas choisir. On lui propose alors de s’installe à Redmond pour « faire ce qu’il veut ». Il devient donc Programm Manager chez Microsoft et on lui propose de prendre un produit de télécommunication que Microsoft voulait vendre aux équipementiers. Mais après une rapide évaluation de ce produit, il le juge dépassé et demande à ce que le produit, dévelopé par une équipe de 35 personnes, soit basculé vers la téléphonie sur Internet. Il se retrouve face à Bill Gates qui lui donne le produit à refaire, avec toute l’équipe de développement….Il reste pendant 5 ans chez Microsoft où il est le Monsieur communication. Il participe au développement de Netmeeting, Tapi, Windows Live Messenger, Exchange IM, Office communication server etc…
En 2003, au court d’un golf, alors que tout allait bien pour lui chez Microsoft, il est approché par un ami qui lui propose de partir chez Reuters avec une proposition financièrement très intéressante alors que les stocks options de Microsoft stagnaient depuis longtemps en dessous de leur prix d’émission et que les salaires, relativement bas, n’avaient pas été réévalués depuis longtemps. Il part donc sur la côte Est s’installer chez Reuters qui était au plus bas, avec une proposition de développer les communications en temps réel sur les marchés financiers. Après New York, il s’installe à Singapour où il supervise l’ensemble des développements de télécommunication de la société. Il fait une jolie culbute financière lorsque Reuters est racheté par Thompson.
A Singapour, il est approché par Silverlake, les investisseurs de Skype qui ont racheté Skype à eBay. En 2010, il s’installe donc à Londres et crée l’Enterprise Business Unit de Skype, c’est-à-dire le secteur communication d’entreprise de skype qu’il dirige encore et dont le chiffre d’affaire croit très rapidement. Son rôle est de développer la pénétration de Skype dans les entreprises et de le monétiser. Il met en place une nouvelle stratégie qui déplace toute l’équipe de développement à Palo Alto (ils étaient répartis en Suède et en Europe de l’Est) et il crée Skype Connect qui permet de connecter Skype à des PBX d’entreprise…et bien d’autres choses. Pour plus d’informations sur la stratégie et les évolutions prévues de Skype , voir le prospectus S1 auprès de la SEC.
Microsoft vient de racheter skype pour 8 milliards de dollars, mais le deal n’est pas encore confirmé et il faut attendre que la CEE l’approuve. Chez Skype, c’est donc « business as usual ». Ce que Microsoft veut faire avec l’équipe n’a pas encore été véritablement discuté, il est donc trop tôt pour avoir une idée plus précise. Microsoft a vraiment voulu acheter Skype, ça ne s’est pas fait par hasard ou pour d’autres raisons. Microsoft a compris qu’il était important d’investir sur la communication en temps réel come étant le système nerveux de communication de toute sa plateforme. Ca n’est pas seulement une acquisition de surface, mais un changement complet de paradigme sur les communications en temps réel dans le « future computing ». Un jour Oracle devra faire ça. Tous ceux qui sont dans l’applicatif n’auront pas le choix.
David Gurlé caresse aussi l’idée de monter une entreprise. Ses reflexions sont orientées sur le rôle des managers dans l’entreprise et les outils dont ils pourraient s’adjoindre pour travailler mieux et être de meilleurs managers. Un MBA ne donne pas les moyens de développer les qualités managériales des gens, on leur apprend a faire des tableurs, à aligner des chiffres, à réfléchir à des stratégies, mais il pense qu’il y a des opportunités pour que chaque manager ait accès à des ressources auxquelles seuls les élites (les top managers) ont accès.. Comment trouver et s’adjoindre ces outils de l’excellence… ? Il n’y a en effet pas de contrôle de qualité des manager et ils n’ont pas vraiment les moyens de s’améliorer.
David Gurlé répond enfin à plusieurs questions de l’audience. Skype va mettre en place un système de vidéo conférence de type Webex grâce à un deal avec Citrix (Go to Meeting) pour développer un OEM qui sera intégré dans skype. Skype sera-t-il SIP? Skype est déjà compatible avec SIP par l’intermédiaire de Skype Connect mais le protocole de Skype ne sera pas converti en natif SIP. Il restera propriétaire, mais ouvert. Le Web Conferencing était la principale caractéristique manquante, c’est ce qui est en cours de préparation.
La sécurité sur skype ? Skype n’est pas un service de télécom au sens classique tu terme et gardera cette position pour le moment. Le protocole de Skype n’est pas décryptable…il ne l’a pas été jusqu’à présent. On ne police pas skype, il y a une politique de liberté d’utilisation et elle continuera.
Les évolutions de Skype ? Lorsqu’on consomme de la communication, on se met dans un certain contexte qui s’établi en fonction des données consommées et échangées. Mais aujourd’hui, l’outil ne fait rien pour connaitre ce contexte qui a une importance capitale sur l’information que les utilisateurs veulent faire passer. Ce contexte donne plus de valeur à la communication réalisée entre deux ou plusieurs individus. Les évolutions de Skype vont vers l’intégration du contexte au points d’entrée des données parce que l’échange d’information sera plus riche. On intégrera les outils de communication dans les outils auteurs (authoring tools). Il s’agit en quelques sortes de mettre en place de la « rich comunication ». Le contexte peut aussi être dynamique, et les ordinateurs disposent des éléments qui permettent de savoir comment ce contexte évolue. Un ordinateur peut travailler en background et améliorer sa connaissance de l’évolution du contexte pour faire du matching et rechercher des informations pertinentes liées à la communication entre 2 ou plusieurs personnes. Il est donc possible d’enrichir le contexte. Ca sera la prochaine révolution.
La valorisation de skype lors de l’acquisition par Microsoft dénote les revenus potentiels qui n’ont pas encore été réalisés. La pub sur Skype est arrivée seulement cette année au mois de mars… Skype est dans le club très fermé des 100..100.. 100 du Web. L’ADN de GE est son management c’est ce qui en fait la valeur. Ebay n’a pas su trouver son ADN lui permettant d’utiliser Skype. Enfin, l’ouverture de Skype a été un sujet de négociation intense au cours du rachat par Microsoft. Steve Ballmer ne devrait pas casser l’aspect ouvert de Skype, il l’a dit. Les raisons qui l’empêchent de changer est que le monde des communications est hybride, il n’y a pas de système unique… c’est pas possible.
Merci à Aline Dinoia pour la vidéo.