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Colt pourra-t-il faire annuler la DSP THD92 par le Tribunal Adminstratif de Versailles ?

29 mai 2010

Le tribunal administratif est un organisme qui statue sur les litiges  entre l’Etat (la puissance publique) et le s particuliers ou les entreprises privées. Les jugements d’un tribunal administratif peuvent être portés en appel auprès du Conseil d’Etat dont les jugements sont alors définitifs.  Le Tribunal Administratif de Versailles qui a compétence pour le territoire des Hauts de Seine a donné sa position ce vendredi sur un conflit qui oppose principalement le Conseil Général des Hauts de Seine avec Colt sur la DSP THD 92. L’objectif de cette DSP initiée en 2005 par Nicolas Sarkozi, alors président du Conseil Général des Hauts de Seine, est de fibrer 800000 foyers dans le département. Elle représente le plus gros projet de mise en place d’un réseau de fibre à la maison (FTTH) en France et probablement en Europe.  Le rapporteur public a donc remis sa conclusion qui recommande l’annulation de la Delégation de Service Publique « THD 92 ».

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La requête, déposée par Colt au début de 2008, a pour but selon les termes de Emmanuel Tricaud, directeur des affaires réglementaires de Colt France , cité par L’Usine Nouvelle , de dénoncer la manière dont les règles de la concurrence par les infrastructures énoncées par la commission Européenne et l’ARCEP sont mise en œuvre en France : «Nous sommes d’accord avec les règles de la concurrence dans les infrastructures, indique-t-il, à condition de se battre contre des gens qui sont financés par les marchés. À partir du moment où vous rajoutez, au cours de la vie du réseau, un changement de règle du jeu autorisant une aide publique, vous arrivez à une situation de distorsion de concurrence. Surtout s’il s’agit d’une aide publique très mal équilibrée entre zones denses et zones moins denses. Un exemple : dans les trois premières années de cette délégation de service public, il n’est pas question de couvrir les zones non denses mais la moitié de la subvention doit malgré tout être versée ».

Instruction en cours

La procédure d’instruction d’une requête soumise aàun tribunal administratif consiste à demander à un rapporteur public d’émettre ses conclusions  sur le dossier après avoir entendu toutes les parties en présence et étudié leurs requêtes. Ces conclusions sont en fait une proposition de solution telle qu’elle parait le plus appropriée au rapporteur, mais ces conclusions pourront être adoptées ou non  par le juge dans sa décision finale.

Dans sa conclusion, indiquant que la solution qu’il choisit est l’annulation de la DSP, le rapporteur n’est pas allé au fond (ce que souhaitait implicitement Colt). Il s’est arrêté sur un élément du contrat, un point de forme important dans la DSP, à savoir qu’en cas d’annulation de la DSP, le Conseil Général des Haut de Seine aurait à verser une indemnité de 70 millions d’euros à Sequalum (un consortium constitué de l’opérateur Numéricable (80% du capital), du groupe du Groupe Eiffage  (15%) et de LD Collectivités / SFR (5%)) soit 11 millions de plus que la subvention accordée par le CG pour la réalisation de l’ensemble du projet. Le versement d’une indemnité de rupture de contrat plus importante que le montant des sommes impliquées dans le contrat lui-même semble plutôt inhabituelle.  A noter cependant que la DSP a été faite sur une estimation de coût total de 450 millions d’Euros environ dont une subvention du CG de 59 millions d’euros, pour assurer la couverture dans les zones peu denses, la différence étant supportée par Sequalum.

Tir groupé…

A noter que le rapporteur public instruisait en même temps plusieurs requêtes autour de cette DSP dont une requête de France Télécom et des requêtes portées par Patrice Leclerc élu communiste (Gennevilliers) au Conseil Général et d’autres parties privés.  A noter aussi que sur le fond qui concerne le respect des lois de la concurrence que conteste Colt, la Commission Européenne s’est prononcée en octobre 2009 pour valider l’attribution de la subvention de 59 millions d’Euros à Sequalum, pour assurer la péréquation entre les zones denses et les zones moins dense à l’intérieur du département.

Le juge du tribunal adminstratif de Versailles, dans sa décision finale qui interviendra dans un mois au plus tard, pourrait donc prendre en compte les conclusions  du rapporteur sans se ranger à sa solution d’annulation de la DSP en demandant  au CG de passer un avenant à la DSP pour modifier cette disposition particulière…

La concurrence par les infrastructures en question

Cette décision vient donc alimenter un débat qui semble agiter les sphères du très haut débit depuis pas mal de temps, à savoir l’impact et l’adaptation de la règle de la concurrence par les infrastructures au développement du très haut débit alors qu’elle avait plutôt bien fonctionné dans le cas du haut débit depuis 2004. Le sujet était largement évoqué voici quelques jours dans une conférence qui s’est tenue à Paris.

Choisir pour cible la DSP THD 92 est hautement emblématique dans la mesure où elle représente une vitrine du très haut débit en France, qu’elle a été validée par la Commission Européenne et qu’elle concerne le territoire du Président de la République. Depuis quelques années maintenant, la France a reconnu l’importance de la mise en place de réseaux d’infrastructures de fibre pour desservir les foyers (FTTH). Mais un certain nombre de contraintes et de règlementations émises par le régulateur semble avoir stoppé le processus en laissant l’initiative aux opérateurs dans les zones denses et en n’intervenant pas (faute de moyens) dans les zones moins denses.

Le THD n’intéresse plus personne

Il en résulte que le très haut débit en France dans les zones denses  devient le champ clos de batailles entre les opérateurs  (France Télécom, Bouygues, Numéricable, SFR, Free-Iliad, Colt et quelques autres) cherchant à contrôler les infrastructures et à empêcher la mise en place d’infrastructures mutualisées par les collectivités. Le paysage actuel pousse les opérateurs à sur-investir dans les zones denses comme le THD 92 plutôt que d’utiliser les infrastructures mutualisées et à laisser France Télécom occuper les territoires les moins denses (avec les dérives que l’on connait avec les monopôles locaux), quitte à s’insérer localement dans des niches suffisamment intéressantes que l’opérateur historique ne couvre pas pour créer leurs propres petits monopôles locaux ou sectoriels.

Le problème ne passionne ni les Français qui se disent assez satisfaits de leur haut débit (sauf dans les zones peu denses) et ne voient pas l’intérêt de plus de débit (sauf pour la télévision HD ou 3D….), ni le gouvernement qui a éparpillé les responsabilités pour le très haut débit a plusieurs ministères où chacun joue son propre terrain sans se coordonner avec les autres, ni les élus dans la mesure où en général  ils n’y comprennent rien et ne s’intéressent qu’à l’avenir à court terme de leur territoire, ni l’ARCEP qui semble penser que les décisions prises étaient nécessaires et sont aujourd’hui suffisantes.

Le Très Haut Débit en France est au point mort

21 mai 2010

Michel Mercier au Forum des décideurs

Le très bel amphithéâtre du Conseil Economique et social recevait cette semaine le Forum des Décideurs territoriaux, une manifestation organisée par Serge Pilicer en partenariat avec la plupart des grands ministères intéressés par les avancées des technologies numériques et du très haut débit en France.  L’objectif de cette réunion à laquelle ont participé les grands acteurs territoriaux et les professionnels du très haut débit français était de faire un nouveau point sur l’état des lieux  alors que notre pays commence à prendre du retard sur ses partenaires européens dans la mise en place des infrastructures de très haut débit fibre. Le constat n’est pas brillant, alors même que les intervenants ont à peine soulevé le voile sur les problèmes qui ont conduit le déploiement à stagner depuis 3 ans. « Depuis le séminaire gouvernemental sur le numérique il y à 9 mois, rien n’a bougé malgré l’agitation et les belles déclarations,  expliquait un participant ne souhaitant pas être nommé. Il serait temps de montrer  les coupables du doigt, parce que leur petit jeu fait prendre un retard critique à la France et ils continuent de profiter de la situation… »

Des mesures, des intentions… mais rien ne bouge

C’est Michel Mercier Ministre de l’Espace Rural et de l’Aménagement du Territoire qui ouvrait les débats en rappelant les dernières décisions du CIAT sur l’aménagement numérique du territoire et les mesures prises par le gouvernement depuis le début de l’année dernière. Il mentionnait notamment les mesures prises en décembre dernier d’allouer 4.5 milliards d’Euros du Grand Emprunt à l’économie numérique  (FSN ou Fonds pour la société Numérique) dont 2 milliards seront consacrés au déploiement de la fibre dans les zones très denses (zones 1 et 2 définies par l’ARCEP). La loi du 17 décembre 2009 (loi Pintat) créait aussi le FANT (Fond d’aménagement numérique du territoire) pour lutter contre la fracture numérique, dont le but est de faciliter le développement du très haut débit dans les zones moins denses (zones 3 de l’ARCEP).

Le CIAT a décidé d’abonder  le FANT par le grand emprunt (le FNS) par une première tranche de 750 millions d’Euros. « On ne peut pas attendre que le marché ait bien servi les zones rentables arrive ensuite vers les zones moins rentables expliquait Michel Mercier». Il posait ensuite la question de l’alimentation du FANT dans la durée, une tâche à laquelle devra réfléchir le Sénateur Hervé Maurey. « Pour servir les ambitions évoquées lors du CIAT il faut des projets, de bons projets qui ont fait l’objet d’études approfondies. Ces projets doivent être articulés avec des investissements privés » poursuivait-il.  Le programme National très haut débit sera donc engagé dans quelques semaines avec un appel à projets qui associera les collectivités locales et les opérateurs.

Le CIAT mentionne aussi qu’une « stratégie de cohérence régionale » sera élaborée d’ici la fin de 2010 par les préfets de région en liaison avec les collectivités territoriales. Enfin, le FNADT (Fond National d’Aménagement et de Développement du Territoire contribuera à hauteur de €1.5 millions par an à l’élaboration des schémas directeurs d’aménagement numériques régionaux.  Il  concluait son intervention en indiquant que le rôle du politique est de fixer un cap et des priorités…Le très haut débit est une priorité pour lui, mais il laisse aux opérateurs et aux collectivités le soin de se mobiliser et de s’entendre…

Les 2 France :  les villes…et les réserves d’indiens numériques

Une première table ronde tentait de faire le point sur les développements en cours et très vite, il est apparu que les Français (du moins plusieurs de leurs représentants) ne souhaitent pas renouveler l’aventure du haut débit qui a suivi le dégroupage en 2004, même si la réalité n’offre guère d’autre solution. « Nous voulons engager en même temps l’effort sur l’ensemble du territoire, c’est-à-dire avancer en parallèle dans les zones denses et les zones rurales » expliquait Patrice Martin-Lalande, Député du Loir et Cher. Il faisait implicitement abstraction de plusieurs faits objectifs que sont : l’attitude et les stratégies des opérateurs, le manque de fonds et l’inégalité des ressources des collectivités, la volonté européenne de concurrence par les infrastructures, la réglementation Française de séparation en zones denses ou moins denses, la règlementation de l’ARCEP sur la montée en débit et l’implication variée des élus des collectivités. Yves Censi, Député de l’Aveyron, mentionnait que la puissance publique devait être le levier du développement pour éviter que ne se créent des « réserves d’indiens numériques », auquel il assimile son territoire.

Bouygues, le trublion du 92

Thierry Solère  Vice président du Conseil Général des Hautes de Seine apportait avec beaucoup de convictions une vision très optimiste du développement de la DSP THD 92 (déploiement de 800000 prises fibre chez les habitants du 92) qui fut portée sur les fonds baptismaux en 2005 par Nicolas Sarkosy alors encore Président du Conseil Général des Hauts de Seine. Pourtant, cinq ans après, pas un appartement n’est relié à la fibre…

Sur le terrain, les rumeurs laissent entendre que les travaux n’avancent guère, après un remaniement à la tête du projet au sein du Conseil Général et  pas mal de difficultés de « communication » et de « compréhension » entre le CG, Sequalum le délégataire de la DSP, Numéricable le maitre d’ouvrage et les divers sous traitants. La complexité du système, la forme juridique de la DSP et les visées des autres opérateurs dans la place (Free, Orange, SFR, Colt) qui sèment des embuches à qui mieux mieux, les retards accumulés pour définir et s’entendre sur le fibrage vertical des immeubles mettent le délégataire dans une position quelque peu délicate face à des opérateurs qui font la fine bouche, attendent et préfèrent fibrer de leur côté plutôt que se passer par lui.

Cependant, un trublion, Bouygues Télécom, semble en mesure de faire bouger les choses à travers sa nouvelle stratégie d’opérateur fixe capable d’offrir le quadruple play. N’ayant pas de fibre, le recours à l’infrastructure du délégataire est une aubaine pour lui pour atteindre les habitants de ce département dense et économiquement actif. Il semble aussi que les bailleurs sociaux se tournent délibérément vers Sequalum pour équiper leur parc d’appartements. « La guerre de la fibre se gagnera dans les immeubles, c’est-à-dire avec les syndic et les bailleurs » disait un proche du projet THD 92.

Certains opérateurs jouent le jeu, d’autres jouent la montre

Olivier de Baillenx, directeur des relations institutionnelles chez Iliad-Free rappelait que Free n’était pas favorable à la DSP THD 92 que Iliad (qui ne fut pas choisi après avoir essayé de torpiller le projet) a contesté auprès de la commission Européenne, créant au passage une jurisprudence non attendue.  Il mentionne un cas de co-investissement d’infrastructure mutualisée réunissant les opérateurs Wind, Fastweb et Vodaphone  à hauteur de €2.5 milliards pour déployer un réseau de fibre dans les plus grandes villes d’Italie comme étant quasiment impossible en France. Ce à quoi Jean Michel Soulier, Président de Covage, le seul grand opérateur d’opérateur indépendant en France répond : « On est un peu suspicieux sur la dite entente de mutualisation entre les opérateurs Italiens… ». Covage qui  gère 14 DSP en France semble bien connaitre les arcanes des relations des opérateurs entre eux.

Patrice Martin-Lalande rappelait que la coopération entre les opérateurs en France ne se pose pas vraiment de problème dans les zones rurales dans la mesure où aucun opérateur ne veut y aller et que France Télécom y est de toute façon présent historiquement (ce qui lui donne un avantage dont il joue habilement). « Mais pour essayer de créer des modèles divers et innovants dans les zones rurales, poursuit-il, il faudrait que l’on puisse disposer des informations nécessaires à l’élaboration des schémas directeurs.  Malgré la LME qui impose aux opérateurs (particulièrement l’opérateur historique) de donner les informations sur les réseaux dans les communes, on n’a pas avancé depuis… et on ne voit rien venir ».

La table ronde se terminait sur quelques considérations autour des Etats-Unis ou les 2 opérateurs, Verizon et AT&T ont mis en œuvre de vastes plans d’investissement pour le FTTH.  Il était cependant noté que le FTTH mis en place n’est pas du vrai FTTH mais une solution hybride fibre – câble coaxial chez Verizon et une solution  VDSL chez AT&T mais personne ne mentionnait que,  une fois que l’appartement connecté, l’utilisateur est lié à vie avec l’opérateur qui l’a installé… Pas question de changer d’opérateur car il n’y a pas de mutualisation de la boucle locale… Dans ce genre de schéma, la fibre à la maison devient  un véritable sacerdoce pour l’utilisateur, de quoi réjouir un opérateur historique.