Le colloque de l’ARCEP se tenait la semaine dernière à Paris sur le thème Croissance, Innovation, Régulation. Les patrons des 5 opérateurs étaient présents et y ont exposé leurs vues sur la situation. Ils ont tous fait des constatations sur la régulation et formulé quelques recommendations sur la manière dont le marché devrait évoluer. J’ai repris l’essentiel de ces recommendations pour les mettre bout à bout. Le patchwork est intéressant…
Propositions de Stéphane Richard, PDG de France Télécom
1. Construire un nouveau modèle de l’Internet. La croissance exponentielle des données transportées sur nos réseaux, effet combiné de l’accroissement du nombre d’équipements connectés et de l’usage par équipement, conduit le modèle économique de l’Internet, historiquement fondé sur la gratuité d’échanges de trafic symétriques, dans une impasse.
- Garantir une stabilité des cadres régulatoires pour favoriser les investissements. Pour soutenir l’explosion des échanges de données, nous sommes prêts à mener d’importants programmes d’investissements de montée en débit et de développement du très haut débit fixe et mobile.
- Nous devons passer d’une approche exclusivement consumériste à l’élaboration d’une stratégie industrielle pour l’Europe. La baisse des prix résultant de la régulation mise en œuvre depuis plusieurs années a permis une formidable démocratisation du mobile et de l’Internet haut débit.
- Militer pour les valeurs d’ouverture et d’interopérabilité. Nous devons nous assurer que le monde numérique en construction est un monde ouvert, un monde où les utilisateurs et les fournisseurs de contenus européens ne sont pas captifs d’écosystèmes qui limitent leur liberté de choix et augmentent les coûts pour l’ensemble de l’écosystème.
- Renforcer les questions de sécurité (autour de la carte Sim et des paiements sans contact NFC)
Propositions de Jean Bernard Levy Président de Vivendi (SFR)
1. Le mobile : favoriser la concurrence par les infrastructures
Le marché de la téléphonie mobile a pratiquement toujours été concurrentiel.
A titre d’exemple, le régulateur semble aujourd’hui vouloir imposer des obligations de mutualisation. Or ces mutualisations forcées ne sont pas pertinentes car elles empêcheront les opérateurs de se différencier techniquement, ce qui sapera leurs efforts en matière d’innovation. C’est le nivellement par le bas. La régulation a coûté à SFR cinq points de croissance l’année dernière…
2. Le fixe : favoriser la mutualisation des infrastructures
A l’inverse, dans le fixe, nous vivons toujours sous le règne de l’opérateur historique. Aujourd’hui, les opérateurs alternatifs payent à l’opérateur historique dans le cadre de l’accès au réseau en cuivre : D’une part, la maintenance, Et d’autre part le renouvellement tu réseau de cuivre (1 milliards par an pour ce dernier point)
Pour illustrer l’absurdité de cette concurrence par les infrastructures pour la fibre, je vous invite à imaginer un réseau ferré avec des voies différentes pour chaque société de transport. Pour cela, Vivendi et SFR proposent la mise en place d’une infrastructure commune avec France Télécom, ouverte à tous les opérateurs et organismes financiers qui souhaitent investir dans le réseau de demain…Sinon il faut aller vers la séparation fonctionnelle de France Télécom….
3. les opérateurs télécoms sont les atouts principaux de l’Europe (pour ne pas dire les seuls qu’il nous reste).
Dans nos zones économiques qui manquent de croissance, il est essentiel d’opérer un réexamen profond des relations entre les acteurs de l’économie numérique afin de favoriser la croissance des acteurs économiques locaux, sauf à faire de l’Europe le futur tiers monde du numérique.
Propositions de Xavier Niel PDG de Iliad-Free
Le succès de la régulation sur le marché fixe en France avec le dégroupage a été premis grâce a des décisions courageuses du régulateur. Cela a permis de faire naitre une véritable concurrence et des innovations techniques et marketing comme le triple play, la voix illimité, la TV sur réseaux de cuivre, l’ADSL2+ et d’autres.
L’immobilisme et les rentes de situation sont les conséquences naturelles des monopoles.
La concurrence a entrainé la baisse des prix. Depuis 2001, 20 milliards d’Euros ont été retournés aux consommateurs grâce à la baisse des prix des télécommunications.
Free investi à hauteur de 40% de son chiffre d’affaire par an dans les réseaux. Les opérateurs historiques sont autour de 10%.
Il faut poursuivre le mouvement régulateur car il y a un fort lobbying des opérateurs historiques sur le fixe et le mobile pour une vacance de régulation.
- Sur le fixe, le prix du dégroupage depuis 3 ans n’a pas baisse. On estime que 1 milliard d’euros sont restés dans les mains de France télécom qui aurait pu les utiliser pour mieux répondre aux besoins des consommateurs
- La mutualisation des réseaux en zones moins denses ne fonctionne pas. On a donc besoin de l’ARCEP.
- La concurrence par les infrastructures provoque un gâchis d’environ 500 millions d’Euros par an. A Paris il y a 4 réseaux côte a côte, et rien dans les zones moins denses.
Dans le mobile, il semble que le gouvernement, dirigé par des objectifs financiers à court terme organise la préemption du dividende numérique pour 1 ou 2 opérateurs. Si les options de rentabilité a court terme devaient se confirmer, la France serait le seul pays Européen où l’attribution est pilotée par une vision a court terme et non pas par une vision industrielle.
Dans un marché où le quadruple play se développe, des restrictions sur le mobile peuvent avoir des effets sur le fixe.
En conclusion, notre choix est celui de la concurrence au niveau des réseaux fixes et des réseaux mobiles au bénéfice des consommateurs.
Propositions de Martin Bouygues PDG de Bouygues Télécom
Les quelques exemples tirés de l’histoire de Bouygues Telecom montrent qu’à plusieurs reprises, ceux qui ont eu à définir l’environnement réglementaire de notre métier, se sont trompés, parfois lourdement, créant des situations inéquitables ou injustes.
Plus grave, certaines décisions réglementaires peuvent même être de nature à menacer l’existence d’un groupe ou d’une entreprise. Cela étant, je voudrais ajouter – ce qui va peut-être surprendre une partie de l’assistance – que je suis favorable à un régulateur puissant mais intelligent et que je suis favorable à un régulateur ferme mais équitable. Ce sont en effet à mon avis, les conditions indispensables à une activité économique soutenue, concurrentielle, créatrice de valeur et orientée vers la satisfaction des clients.
- Je l’ai dit, je préfère de loin un régulateur puissant, capable d’organiser réellement le marché et de stimuler efficacement la concurrence, à un Etat qui réglemente souvent dans la précipitation et parfois dans une grande improvisation. Pas de taxes imaginées seulement pour compenser les effets de telle ou telle politique visant un secteur tout à fait étranger aux télécoms. Nous avons ainsi besoin d’un régulateur puissant qui ait le courage de casser les monopoles, anciens ou nouveaux, qui ait le courage d’imposer la suppression des rentes, ennemis mortels de l’économie de marché.
- La deuxième raison pour laquelle je suis convaincu de la nécessité d’un régulateur fort est plus pratique. Elle tient à la technicité des sujets que nous avons à traiter. Nous avons besoin d’un régulateur capable d’évaluer et de comprendre les contraintes qui pèsent sur les industriels. Nous avons aussi besoin d’un régulateur capable de s’en faire l’interprète auprès du gouvernement et du parlement, surtout quand ces derniers ne voient que des logiques budgétaires de court terme, dictées par des considérations totalement étrangères à l’intérêt des entreprises et sans aucune considération pour l’avenir industriel du pays. Pour les fréquences 4G, Dire qu’il doit y avoir des enchères parce que la ressource est rare, cela n’a pas de sens. Pour la petite histoire, je rappellerais qu’on m’a obligé à restituer des fréquences que j’avais payées, et dont Bouygues Telecom avait besoin, pour les mettre à la disposition du nouvel entrant. Vous comprendrez, dans ces conditions, que je sois très sensible à la différence entre égalité et équité. Pour revenir aux licences 4G, il faut absolument éviter que cela se fasse dans des conditions qui condamnent les opérateurs les moins riches et entravent par conséquent le libre exercice de la concurrence.
- Je milite pour un régulateur puissant car avec un régulateur puissant, on peut parler franchement, on peut confronter ses points de vue et assumer parfaitement des désaccords. Pour que les choses soient claires, je vais en évoquer un. Je suis très préoccupé de ce qui est en train de se décider concernant la fibre. On peut s’interroger sur la pertinence de construire plusieurs réseaux de fibre optique parallèles, alors qu’une seule et même fibre ne peut être saturée. L’Etat a posé le principe de la concurrence par les infrastructures, quels que soient les réseaux. L’application de ce principe sur les réseaux fibres conduit en fait à instaurer une concurrence par l’investissement et les cash flow des opérateurs. Ce choix, qui n’est pas celui d’autres pays européens, aura probablement trois conséquences :
Première conséquence : il va privilégier la concurrence par les infrastructures au détriment de la concurrence par les services. Nous le voyons déjà : plusieurs réseaux d’initiatives publics ne trouvent pas de fournisseurs d’accès internet (FAI) qui acceptent de proposer leurs services car les trois opérateurs fixes concentrent leurs investissements sur leur propre déploiement dans les zones très denses ;
Deuxième conséquence : cette concurrence par les infrastructures se fera au détriment de l’aménagement du territoire.
Enfin, troisième conséquence, cette concurrence par les infrastructures aura probablement pour effet, à terme, de réduire la diversité et la richesse concurrentielle des opérateurs européens au bénéfice de quelques gros acteurs. La réduction de cette diversité se fera bien évidemment au détriment du choix proposé aux consommateurs.
En conclusion, je dirai simplement ceci. Le régulateur n’a ni plus ni moins qu’un droit de vie ou de mort sur les opérateurs. Une seule de ses décisions peut remettre en cause le modèle économique sur lequel repose le secteur tout entier. Une seule de ses décisions peut réduire à rien ou quasi rien la rentabilité d’une entreprise. Une seule de ses décisions peut détruire son avenir. Tout cela donne des devoirs : le régulateur a l’obligation absolue de comprendre son marché, de mesurer les contraintes industrielles et financières qui pèsent sur les entreprises, de savoir que si la protection des consommateurs doit être assurée, la profitabilité des opérateurs doit de son côté être sauvegardée.
Parce que je crois, et je le redis, à la nécessité d’une régulation forte, j’ai le droit me semble-t-il, d’exiger du régulateur qu’il n’hésite pas à remettre en cause les situations acquises ou les monopoles et qu’il traite équitablement les nouveaux entrants et les autres.
Propositions de Pierre Danon Chairman de Numéricable
Le trafic est tiré par l’usage de la vidéo et de la télévision connectée, mais pour l’utilisateur, avec les infrastructure en place, l’expérience restera plutôt médiocre avec 5 mbps. Pour les PME, 150 Mbps sont insuffisants, c’est un minimum pour être compétitif.
Du point de vue des infrastructures, la France et l’Europe sont spectaculairement en retard. Il manque 300 milliards d’euros d’investissements pour les infrastructures en Europe.
En France, je vois des évolutions positives, il y a une demande pour le très haut débit.
Les clients sont un peu prêts à payer un peu plus cher pour le THD. Ils ne sont pas prêt à payer 50€ ou 60€ pour du THD. La demande est là mais pas à ce prix. Mais si par compte le premium pour le THD est raisonnable, on voit des effets massifs du démarrage de l’appétence. Notre prémium est fixé à 42.90€ on a vu 70% de notre clientèle se déporter sur cette offre.
La concurrence est le moteur de l’innovation et le moteur du progrès. Toute décision qui réduit la concurrence est extrêmement dangereuse. Notre innovation, c’est le THD. Les cablo-opérateurs en Europe ont été très innovants, ils ont investi dans le DOCSIS 3.0 et ce sont eux qui ont poussé les opérateurs historiques vers le FTTH.
La concurrence par les infrastructure a eu lieu dans les 8 dernières années, il faut la préserver. Numéricable c’est 8 millions de logements FTTx ( ndlr : fibre et câble pour le dernier kilomètre) et c’est 4 millions de logements sous DOCSIS 3.0 (à 100 mbps).
La contribution du câble aux objectifs du gouvernement est tout à fait considérable.
Il y a 3 challenges, qui sont en fait 3 fractures numériques dans lesquelles il ne faut pas tomber
- Une fracture sociale. Il faut faire attention que dans le pays il n’y ait pas de gens qui aient 100 mbps et d’autres qui ne peuvent pas accéder à Internet. Il faut un accès pour tous à internet haut débit (Numericable a l’offre Sun à 4 euros pour 2 mbps)
- Une fracture géographique. Elle est terrifiante. Avec les 3400 commune qui représentent 60% de la population, c’est pas mal mais on ne sait pas ce qui va être fait ni quand ça sera fait. On risque la désertification des zones moins denses qui, souvent, ont déjà des difficultés.
- Une fracture économique. Les grandes entreprises sont presque toutes équipées de fibre. Mais les PME ont des difficultés, le prix de la fibre pour elle est encore trop élevé. Dans beaucoup de mairie, le maire n’a pas encore le reflexe fibre..
Pour ce qui concerne la régulation, je rejoints l’idée que la concurrence par les infrastructures est absolument fondamentale. L’Europe a beaucoup péché par une focalisation excessive sur la concurrence par les services avec une approche consumériste qui à fait beaucoup à baisser les prix(il n’y a pas que du négatif tout de même avec les 29.90 en France…). Mais le résultat est que l’Europe est en retard par rapport aux Etats Unis et l’Asie sur le plan des infrastructures.
S’agissant de la concurrence par les infrastructures, notre problème est que le câble est une deuxième pensée, y compris dans certaines décisions de régulation. Nous somme prêts à investir, mais il faut respecter la problématique câble…
Les operateurs d’infrastructure comme Numéricable et France Télécom sont des opérateurs de long terme. Il faut donc respecter les investissements qui existent. L’idée de baisse coute que coute du prix du dégroupage n’est pas forcément une très bonne idée.
Je me réjouis de la montée en débit. Il n’est que temps de l’organiser en France. Il faut sortir du diktat du FTTH qu’on a en France. C’est très pénalisant de dire « FTTH ou rien ». Le FTTH n’est pas le seul moyen d’apporter le THD en France à la population, c’est le moyen final, mais ne pas considerer les étapes intermédiaires est criminel… Nous avons le HFC (Hybrid Fibre Coax) qui est la montée en débit pour le câble.
L’organisation de la mutualisation est importante car l’essentiel du coût est dans le génie civil et sa réutilisation est très positive. Il faut que l’ARCEP nous aide à définir des normes plus fines pour qu’on arrive à mutualiser entre opérateurs. Dans les schémas départementaux, le câble est défavorisé pare qu’on n’a pas de réseaux départementaux. On est bien plus à l’aise dans les agglomérations.
Il faudrait enfin que les pouvoirs publics facilitent l’utilisation du THD au niveau des citoyens. Par exemple en poussant l’utilisation de la vidéo, dans les écoles, dans la télémedecine, dans la dépendance et le maintien des personnes agées à la maison etc…