La conférence e-Learning, organisée par Infopromotions, s’est tenue pendant 2 jours à Paris la semaine dernière. Très ciblée, intense par la qualité des intervenants et des participants et enrichissante par l’étendue des thèmes abordés, elle réunissait une centaine de personnes, tous professionnels de la formation et pour bon nombre d’entre eux pionniers du e-Learning.
Souvent confondu avec la formation à distance, auquel bien sûr il participe, le e-Learning est un secteur qui regorge d’opportunités, même si aujourd’hui il représente un volume d’affaire relativement modeste en France. Le e-Learning est beaucoup plus développé dans les pays anglo-saxons. En Angleterre par exemple, le chiffre d’affaire du e-Learning est déjà 3 fois supérieur à celui de la France…. Ne parlons pas des Etats Unis qui pourtant ne bénéficient pas d’un système règlementaire aussi incitatif qu’en France. En effet, le 1% patronal est estimé en France représenter plus de 8 milliards d’Euros par an et lors d’un article précédent, Michel Diaz, l’animateur de la conférence, nous indiquait que le e-Learning, avec moins de 150 millions d’Euros de Chiffre d’affaire en 2010 ne représente qu’un peu moins de 2% de ce montant…
Directeur associé de Féfaur, une société d’analyse et de conseil dédiée au e-Learning, Michel Diaz est un pionnier de l’utilisation de l’ordinateur dans la formation professionnelle. Il nous explique les grandes tendances du marché et met en évidence quelques grands éléments de la dynamique de son évolution.
Un marché émergent adressé par une offre plutôt artisanale
L’analyse réalisée par Féfaur montre que le marché Français du e-Learning est encore petit, assez peu structuré et présente les caractéristiques d’un marché émergeant dans la mesure où une assez forte demande se fait sentir et que l’offre est assez récente puisque seulement 37% des sociétés qui opèrent sur ce marché ont été crées avant 1999. « Le marché attire beaucoup de nouveaux acteurs, d’où une situation parfois compliquée pour les acteurs historiques » indique Michel Diaz. La Cegos qui était invitée à parler dans la conférence aux côtés de son client la RATP était gentiment malmenée par l’un des participants comme un dinosaure du présentiel.
La grande majorité des sociétés présentes sur ce marché du e-Learning sont des petites sociétés non côtées de moins de 50 personnes, plutôt familiales, dirigées par leur principal actionnaire, dont le chiffre d’affaire moyen est de 3 à 4 millions d’euros environ. Elles agissent principalement sur le marché des grandes entreprises et souvent localement alors que la plus forte demande, spécialement en e-Learning, émane des PME. Elles sont centrées principalement en l’Ile de France, quelques unes en Rhône Alpes et en Bretagne.
Des ambitions mais peu d’investisseurs…
Les investisseurs ne s’intéressent guère à ce secteur encore très artisanal, essentiellement Franco-Français dont le principal rayon d’action reste la francophonie proche. Deux grands groupes, la Cegos et Demos essaient tant bien que mal de capter la croissance de la demande (+ 30 à 40% par an dans les prochaines années), mais comme la grande majorité des acteurs, se concentrent sur le secteur des grandes entreprises, le marché traditionnel, et restent assez mal armés pour adresser la demande des PME (inférieur à 5000 salariés) « qui tire véritablement le marché» explique Michel Diaz.
« Le rêve des entreprises de e-Learning est d’adresser le marché de l’entreprise et les millions d’utilisateurs individuels. Mais les Français ne sont pas encore habitués à investir dans leur formation. C’est un marché en France qui est soutenu par les entreprises. » Nous reviendrons sur le rôle du 1% patronal et sur le semi échec du DIF, assez peu utilisé. Le fait que la R&D dans les entreprises de e-Learning reste assez faible renforce le caractère artisanal de l’offre, d’autant que très souvent, la R&D est faite par les clients du e-Learning qui développent une grande partie des contenus originaux eux-mêmes, comme le soulignaient Victor N’Guyen de Novartis et son collègue Jean-Pierre Praud de Sanofi Aventis au cours de leurs présentations.
Une segmentation très large
Pour Michel Diaz et pour les participants de cette conférence, le e-Learning regroupe 6 grandes activités : Les contenus sur mesure occupent 44% de l’activité des sociétés du secteur ; les contenus sur étagère pour 26% ; les plate-formes LMS (learning management systems) et les services associés pour 21% ; les outils auteurs et services associés pour 4% ; les classes virtuelles pour 2% et les serious games pour 3%. Les serious games ont connu une forte activité médiatiques au cours des derniers mois, mais Michel Diaz n’y voit guère de débouché, compte tenu du petit nombre de sociétés sur ce segment et les prix assez élevés qu’elles pratiquent. Il note que la part des contenus sur mesure baisse rapidement, perdant 10% en quelques années, au profit des contenus sur étagères qui intéressent plus particulièrement les PME, ce phénomène étant accentué par la crise qui pousse les entreprises à gérer leurs coûts de façon plus serrée.
Enfin, il note que les sociétés qui opèrent sur le e-Learning sont assez peu spécialisées avec près de 80% d’entre elles couvrant au moins 2 activités ou plus. « Certains opérateurs ont choisi d’être à la fois fournisseurs de contenus et de technologies… précise Michel Diaz. D’autres pensent qu’un split devrait intervenir dans les prochaines années, chacun se spécialisant dans son cœur de métier… » . A noter que France Télécom, l’opérateur historique examine ce secteur avec intérêt.
Des LMS usines a gaz…
Les présentations qui ont eu lieu au cours de ces 2 journées ont mis en évidence quelques points significatifs du fonctionnement du marché en France. Victor N’Guyen de Novartis a présenté une remarquable mise en œuvre de e-Learning dans la filiale Française pour la formation à distance et à la demande de quelques 800 visiteurs médicaux, dans l’univers très règlementé des formations médicales. Il constatait pourtant un manque d’intérêt des autres directions et la faible implication de son service informatique qui voit arriver d’un mauvais oeil de nouvelles perturbations possibles sur ses serveurs. Il a mis en œuvre une plateforme LMS qui répond assez bien à ses besoins, mais est différente de celle choisie par le groupe au niveau mondial, qui fonctionne comme un super CMS (Content Management System) mais répond très pauvrement aux besoins de suivis et de statistiques. Ce sujet du choix de la plateforme de management du e-learning semble crucial et sera évoqué tout au long des deux jours.
Le e-learning rencontre des obstacles au sein même des entreprises
Chez Sanofi Aventis, Jean Pierre Praud pratique le e-Learning depuis près de 10 ans. Il a mis en place une grille détaillée de réalisation de contenus et a défini les grandes fonctions nécessaires d’une « bonne » plateforme LMS. « La problématique du choix d’une plateforme est complexe, dit-il, et on tombe facilement sur des usines à gaz qui sont aussi peu faciles à mettre en œuvre que les ERP dans une entreprises…» Ca devient un projet informatique à part entière, avec toutes ses dérives possibles, souvent au détriment des objectifs fixés.
A la RATP, Nathalie Le-Jeune expliquait ainsi très clairement les contraintes de la mise en œuvre du e-Learning dans cette institution de 50000 salariés. Portée par une très petite équipe avec très peu de moyens, elle a du lutter contre différentes forces internes habituées au présentiel faisant obstacle au e-Learning. « Le rôle du e-Learning dit elle, est encore considéré comme du folklore et n’est pas relayé par les managers de proximités qui ne le promeuvent pas. » Partie sur une plate-forme LMS Open Source par manque de moyen, elle constate des lacunes mais réussit à mettre 4 modules de e-Learning en exploitation dont les évaluations à l’usage sont positives. La RATP met alors en place un projet de mise en place d’une plateforme LMS au niveau de l’entreprise, mais ce projet global échappe un peu au service formation qui n’a pas les compétences techniques pour effectuer les choix informatiques qui risquent de devenir prédominants dans une choix intégré de ce type.
e-Learning sur le point de vente
La mise en œuvre du e-Learning chez Truffaut, dans ses 55 centres de jardinerie intégrée met en évidence le problème du terminal servant à la formation pour les 2600 salariés répartis sur toute la France. Truffaut forme de nombreux travailleurs à plein temps mais son activité fortement saisonnière le conduit à former aussi des saisonniers durant leur activité de vente. Les salariés n’ont pas de poste de travail attitré. Christelle Demay responsable formation et Matthias Rapp, chef de projet formation à la DSI de Truffaut ont travaillé en étroite collaboration sur le projet. Après une première tentative non aboutie en 2002 dans le cadre du déploiement du logiciel ERP de SAP dans la société, le point critique montre que la disponibilité des PC est le facteur le plus important pour l’utilisation du e-Learning.
La DSI et le service formation décident donc de créer des postes de travail dédiés et fermés appelés Formabox, dont 2 sont mises à disposition par centre. L’opération est un succès avec plus de 700 connexions anonymes en 3 mois sur 35 modules de formation dont 11 ont été crées à l’extérieur. Le journal de l’entreprise est aussi diffusé à côté d’informations diverses aux salariés qui mixent e-Learning le présentiel. Le coût prohibitif des Formabox ( €1000 pièce pour un simple PC fermé) laisse penser que des solution beaucoup moins chères devraient être trouvées avec une approche plus industrielle et l’hébergement interne de la plateforme LMS.
Des modèles de facturation archaïques
Jean Pierre Praud rappelait aussi le manque d’intégrateurs spécialisés dans le secteur de la formation, capable de mettre en place des plateformes LMS, soit à partir d’un logiciel unique ou encore par assemblage de modules et composants développés au sein de l’entreprise ou à l’extérieur. D’autre part, les modèles de facturation de ces plateformes LMS restent archaïque même s’ils se qualifient de SaaS, (software as a service) terme à la mode aujourd’hui.En effet, la plupart des LMS sont facturés à la licence au nombre de « sièges » (à l’utilisateur) avec une facture supplémentaire d’hébergement. La tentation est aussi forte pour ces LMS de devenir fournisseurs de contenus de formation qui sont vendus à des tarifs souvent assez élevés.
La culture du Web semble s’être arrêtée aux portes du e-Learning. En effet, peu de ces systèmes LMS sont accessibles par un simple browser. Ils demandent en général de télécharger un logiciel dont l’utilisation rebute plus d’un. Y aura-t-il un e-learning 2.0 pour booster ce secteur? A noter que Fefaur a réalisé une étude détaillée des LMS disponibles sur le marché aujourd’hui.